top of page

Léonie Libellule

  • Photo du rédacteur: Sidonie
    Sidonie
  • 21 sept.
  • 5 min de lecture

Léonie n’a pas les idées folles mais elle est obligée de se tenir la tête régulièrement pour ne pas qu’elles s’envolent. Au moindre courant d’air, les mots se mélangent dans un alphabet désordonné. Il faut alors à nouveau tout trier, même ceux qui ne lui sont d’aucune utilité. Les moches, les vulgaires. Les violents, les cruels. Léonie n’aime pas les brasser à main nues, elle voudrait pouvoir en débarrasser le monde pour toujours. Les fourbes, tombés au sol, la font trébucher. Le rhume de cerveau la guette dans chaque brise humide.


ree

Pour protéger ses mots doux, elle pose une libellule dans ses cheveux. Ni blonds. Ni roux. Ni bruns. Arc en ciel couleur de terres. Noisettes à la poudre d’or. Ses cheveux sont bouclés mais pas autant qu’elle le souhaiterait. Pas assez réguliers, ils sont libres et intuitifs. Ses idées glissent dans les mèches toboggans qui s’entrecroisent, parfois se percutent et dérivent de leur pensée initiale. Elle s’embrouille, perd le fil, bafouille… puis sourit. Elle pense que lorsqu’on sourit, tout est dit.

Ponctuellement, quand elle est contrariée, la phrase reste bloquée et fait une grosse bouloche si difficile à dénouer.

Alors, elle part marcher. Le long des chemins, dans les bois, sur les collines, aussi longtemps que nécessaire, tant que le vent n’a pas glissé suffisamment ses doigts courant d’air entre les noeuds cheveux pour éclaircir le problème. Parfois des heures, jusqu’à l’aurore. Que la nuit embrasse les soucis et illumine le lendemain.

Si ses pieds cloquent de trop de pas, elle doit finir par glisser sa propre main dans la mèche de paille pour en séparer les brins. Mais elle n’aime pas ça, forcer les pensées. Car elles reviennent toujours brusquement, comme une claque sèche sur sa joue délicate.



ree

Le matin, elle boit la rosée sur les fougères et la forêt lui murmure les secrets de la nuit.

Sa peau claire prend des nuances safranées dès que l’émotion la saisit. Petit être palette aux milles nuances.


Quand ses boucles sont bien régulières et soyeuses, de petits oiseaux malicieux se posent un instant sur ces perchoirs délicats. Si légers, qu’ils s’enfoncent à peine dans le duvet filandreux.

Léonie aime leur présence. Elle perçoit leurs secrets gazouillis. Les sons serpentent, ondulent, se faufilent entre ses boucles, glissent dans son conduit auditif spiralé jusqu’à venir égailler ses pensées. Au bout de quelques minutes, toute la tête de Léonie est emplie de belle mélodie. Chaque neurone ainsi imprégné se met à chanter en harmonie. Qui virevolte, qui monte adagio, moderato, allegro. Oh, les portées se croisent, clé de fa, clé de sol, la symphonie part en canon. Diphtongue. Puis le chef d’orchestre de son cerveau accorde l’ensemble en un opéra de la nature. Le bruit du vent dans les feuilles, les clapotis de l’eau du ruisseau complètent harmonieusement la partition. A l’automne, le brame du cerf vient donner de la profondeur au concerto.

Léonie exulte. Elle vibre. Les notes parcourent son squelette en minuscules percussions. Elle ne peut plus rien faire, plus bouger. Laisser ses amis musiciens picorer sa tête jusqu’à ce qu’ils reprennent leur envol et leur liberté.

La musique envoûtante décroît lentement à chaque petit oiseau qui décolle. Elle sent le léger crissement des pattes qui desserrent leur délicate emprise de ses cheveux instruments. L’un frôle sa joue en passant. Un autre se pose sur sa main. Un subtil au revoir, à la prochaine fois notre douce amie.


Léonie marche sur le chemin. Les brindilles crépitent entre ses orteils. Méticuleusement, elle évite les cailloux. Elle ne veut rien affronter qui ne soit pas nécessaire. Œil de biche, pieds de velours, se déplacer est une danse verticale. Ne pas heurter le sol, ne pas le faire frémir d’avantage que ce que sa présence miniature génère. Ne pas devenir le parasite d’un écosystème enchanteur.

Dans le sable, elle trouve de minuscules billes translucides. Elle les ramasse, Petit Poucet inversé. Elle leur murmure une pensée avant de les glisser dans un grand pot. À moitié plein, à moitié vide. Elle espère y rassembler ses idées pour ne plus les laisser filer.


Parfois, le long de la rivière, elle saisit à deux mains une tristesse égarée sur la sommet de sa tête. Elle la rassemble avec ce qui déborde de son coeur. Patiemment, elle fait rouler l’ensemble délicatement entre ses doigts. Ne surtout pas l’émietter, ne pas l’effriter. Elle dépose précautionneusement son émotiombre au fond de la rivière. Le courant se chargera de l’attendrir, de l’arrondir, de la polir. Tristesse purifiée deviendra un joli galet marbré, très prisé des humains pour ses soit-disant vertus énergétiques.

Léonie trouve ça idiot. Léonie les trouve idiots. Il n’ont rien compris à ce que leur enseigne constamment l’essence de vie. Gâchis. Mais elle continue de confier ses tristesses à la rivière, si ça peut leur faire plaisir de se pavaner parés de colliers de ses larmes.

Léonie laisser rouler les galets sous ses pieds. Équilibre éphémère. Si légère, elle ne glisse jamais. Elle semble toujours survoler la matière. Pourtant, elle se sent si lourde parfois. Lourde de pluie, lourde de cris. Être fragile et entière. Merveilleuse créature de lumière. Le monde la terrifie et grignote petit à petit son abri. Elle perd ses points de vie.


Sa peau translucide éclaire la nuit. On peut voir battre son cœur et palpiter son âme. À nue, sensible. Elle éparpille des billes de lumière partout où elle s’accroche. Fragments de peau lucioles et d’âme émerveillée. Cette pluie d’étoiles ricoche sur les chapeaux des champignons, sur les brindilles et les feuilles. Ascension vertigineuse dans un courant d’air fugace qui les emporte virevoltant vers les cimes. Myriades de billes électriques retombant en confettis sur la plaine, micro explosions de joie, fête de merveille. Précieuse. Léonie s’éparpille sans cesse. Elle s’égare, se mélange, se fond à son univers.

Elle ne pourrait pas supporter la ville, la foule et les autres. Ils se délecteraient de ses billes de clarté, toujours plus avides de sa lumière. Ils la consommeraient si vite, sans savoir s’en délecter qu’elle deviendrait toute terne, pillée et figée. Grise comme les murs de leur cités dortoirs, grise comme leurs peaux épaisses, grise comme leurs âmes effrayées.


Léonie flotte dans le sommeil. Elle vaporise des rêves magiques, déposés sans bruit sur les enfants endormis. Pour les bercer, les rassurer. Pour les guérir de leurs ainés. Mini monde féerique, rien ne les protège assez. Alors, Léonie met toute son énergie à rêver encore plus fort, plus beau, plus juste. Des nuages majestueux montent de son cerveau et se diffusent dans la nuit.

Quand elle est un peu trop inquiète, elle porte un bonnet pour dormir et protéger les petits êtres des éventuels méfaits de ses angoisses. Elle ne voudrait pas qu’un mauvais rêve s’échappe de son sommeil vulnérable et s’en prenne à un petit corps assoupi. La paix. L’amour. Elle diffuse des rêves pansements pour rafraîchir la vie. Mission de nuit.


Au matin, elle enveloppe sa peau fragile, miroir, d’un drap fin comme un murmure, léger comme un souffle et délicat comme un secret. Elle devient vaporeuse dans la brume du matin. Elle touche du bout de son doigt délicat les gouttelettes de rosée bien rondes et les aspire de sa bouche ourlée. Nectar de vie, l’énergie du jour nouveau glisse dans sa gorge ravie. La vie poésie.



ree



Commentaires


Pour suivre les prochains posts

Thanks for submitting!

© 2023 by The Book Lover. Proudly created with Wix.com

  • Facebook
  • Instagram
bottom of page