Ce week-end, j’ai 30 ans.
- Sidonie
- 1 oct. 2023
- 4 min de lecture
Ce soir, j’ai 30 ans et j’avale les kilomètres.
J’avance et au fil de la distance qui s’accumule, je fuis ma vie et le temps qui passe. Je fuis les contraintes et la routine. Le quotidien, l’inévitable.
Je prends la route et je me détache bruyamment de son emprise. Le moteur gronde en écho à mon humeur.
Ce soir, j’ai 30 ans, seule sur l’autoroute.
Un quartier de lune éclaire puissamment la nuit. Ce n’est pas franc, en transition entre la nouvelle et la pleine lune, indécise. Je me sens proche de ce triste quart de lune, encore un peu brillante, mais franchement entre deux âges. Entre regrets et maturité. Entre doutes et affirmation.
J’apprécie de vieillir. Pour le caractère qui se solidifie. Pour toutes ces peurs idiotes que l’on dépasse. Pour oser toujours plus, si ce n’est plus maintenant, ce sera trop tard.
J’ai dit adieu à ma taille fine, ma peau lisse, mes longs cheveux bruns avec mes hormones en pagaille. Je voudrais tant lui offrir ma confiance et mes connaissances à cette jeune fille de trente ans. Débarrassée de ce qui ne lui appartenait pas, elle aurait pu. Si elle avait eu confiance, que tout passe et qu’on ne cesse d’apprendre. Que c’est justement son malaise qui lui montre le chemin. Assume, ose, décide.
Je voudrais lui dire que ça ne sera pas plus facile. Que ça sera même parfois, toujours aussi inconfortable. Trop. Mais elle saura pourquoi, le subtil, ça prend énormément de place.
La route défile comme les mots dans ma tête. Je ne veux pas qu’ils s’échappent. Je ne veux plus qu’ils m’échappent. Je n’ai plus assez de temps pour les laisser filer comme mes années. Alors, je m’arrête sur une aire un peu trop sombre, parce que c’est important pour moi, là, maintenant, de les retenir. Comme une urgence, une phrase de plus dans un projet bancal et m’autoriser à vivre pleinement l’instant présent.
Ce soir, je voudrais croire que j’ai encore 30 ans et comme un reflet de lune, je suis entre deux émotions.
Tout à coup, au bout d’une ligne droite, un feu d’artifice explose en plein ciel. Je ris, surprise, instinctivement. Je ris pour moi seule, comme une enfant émerveillée. Puis je ris de ce rire sorti du fond de mon coeur, sans nul besoin de le partager. Je trouve si peu de place pour cette spontanéité aujourd’hui, je me sens fanée. A 30 ans, je riais encore.
Un quartier de lune. Un quart plein de ce que je sais ne plus vouloir, un quart vide de ce que je ne connais pas encore de moi.
Je roule et je fuis cette région dont l’énergie me dévore, où mes attaches sont si fragiles. Je veux l’eau et la forêt. Un atelier, la nature, le calme et la liberté. Protégée du monde et de toute cette violence que je ne peux pas absorber.
Je crois que je l’ai toujours su mais jamais, je ne me suis autorisée à prendre le chemin qui mènerait à mon abri.
Ce soir, je n’ai plus vraiment 30 ans alors, je fais ma gym du visage dans la voiture, sursaut d’espoir et de fierté avant de revoir mes amies après de longues années. Je sais que je ne serai pas jugée mais mon égo appelle à l’aide. On se connait depuis longtemps, on a traversé un grand bout de nos vies ensembles et j’arrive là, ce soir, la tête pleine de cheveux gris et d’idées bien peu colorées.
Je ne les vois plus très souvent parce que j’ai toujours eu cette manie d’aller voir ailleurs. Tout quitter, voir si mon coeur allait vibrer plus fort là-bas. Je ne suis plus à côté et je n’ai pas le temps de venir souvent. A moins que je l’ai ce temps mais que je ne sache plus le prendre.
Je ne suis pas encore arrivée et j’ai déjà envie de rentrer. C’est parfois difficile d’affronter les autres, même ceux que l’on aime. Mon syndrome prémenstruel me ravage le ventre. Je voudrais juste m’allonger, que personne ne me parle. Une bouillotte et un livre, plonger dans les mots d’un autre pour me réfugier dans le calme et laisser mon corps se reposer vraiment. Une couette lourde, des oreillers moelleux et le silence. J’ai mangé toute la journée embarquée par le tourbillon de mes hormones qui effondrent ma glycémie et mon moral. C'est vendredi, je suis gonflée, lourde et fatiguée, je n’ai plus 30 ans.
Mais cette envie profonde de les voir me fait continuer la route, kilomètres après kilomètres. Un texto spontané envoyé au cours de l’été, une date fixée aussitôt, une location réservée en quelques jours. Quelle urgence commune ai-je soulevée ce soir d’été ?
Aujourd’hui, je voudrais avoir 30 ans, comme dans nos souvenirs, pour être à la hauteur de leur énergie. Comme avant les traitements et les nuits blanches. Comme avant mon corps usé et mon cœur blessé. Dans une innocence précaire déjà en quête de sens, mais je savais mieux faire l’autruche, je savais mieux me glisser dans les habitudes des autres.
Alors, je m’arrête encore. Une autre aire à l’ambiance inquiétante. Je ne peux pas arriver et, avant même un bonjour, leur dire « ne me parlez pas, il faut d’abord que je note. Tous ces mots, mon trésor » Il viennent quand ils le décident. Et c’est maintenant, avant vous. Parce que je les ai mis de côté en trouvant trop de bonnes excuses pour ne pas me confronter à moi-même. J’ai eu besoin de cette vie agitée, de la joie et de votre amitié. C’est infiniment précieux et vous me manquez. Mais tout de suite, j’ai besoin de moi et d’aller fouiller dans mes tripes. Alors, je vais cheminer à mon rythme pour mieux vous retrouver.
Troisième arrêt. Le dernier.
Ça n’a pas de logique. Il faudrait arriver le plus tôt, le plus vite possible. Ça n’a pas de logique mais tant de sens au cœur de ma nuit. Les lumières de la station, l’odeur de l’essence, le bruit des camions lancés à toute vitesse. Je suis à l’abri dans ma voiture, un espace où flottent mes pensées pour encore quelques kilomètres. J’aimerai rouler sans but, voir où ça me mène, dans une errance méditative et créative.

Ce soir, je n’ai plus 30 ans, ni même vraiment 40.
Alors j’arrive, je sonne... Et puis, la vie, parenthèse enchantée.
Comments