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Cher Corps

  • Photo du rédacteur: Sidonie
    Sidonie
  • 25 févr.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 mars


Encore un soir…

Ana se plante devant le miroir. Encore. D’un regard méprisant, elle balaye de haut en bas son corps nu. Il est presque minuit. Elle devrait aller se coucher. Dormir et se foutre la paix.

Elle se tourne, tord la tête et cambre les reins pour parvenir à se voir de dos. Elle se pince la cuisse en fronçant les sourcils. Ses formes généreuses remplissent pleinement toute la paume de sa main. Elle relâche sa prise et secoue sa fesse qui rebondit sur le bout de ses doigts. Des vagues charnues ondulent jusqu’à s’évanouir dans le bas de son dos.

Elle soupire, s’enveloppe de sa tristesse et se dirige d’un pas lourd vers la chambre. Elle s’endormira dans ses pensées, amère, déçue, pleine de rejet pour son corps, pleine de dégoût pour elle-même.





Encore un matin…

Ana est plantée devant sa penderie, en culotte. Quelques vêtements trainent sur un pouf, les exclus du jour. Elle ne se sent à l’aise dans rien, elle se demande bien comment elle a pu acheter tout cela. Comment, un jour, prise d’un élan de positivisme, elle a pu se trouver attrayante face au miroir de la cabine d’essayage ?

Un pantalon large, un t-shirt blanc, des baskets confortables et des boucles d’oreilles dorées pour un petit effort de présentation. Les basiques feront l’affaire pour son humeur maussade.

Elle jette un regard froid à son reflet dans le miroir du hall de son immeuble avant d’ouvrir la porte sur le monde et de s’engouffrer dans la foule déjà bien présente sur le boulevard parisien. Elle a l’impression de prendre trop de place, toute la place. Elle se sent observée par les passants à la mine aussi grise que le bitume. Elle n’a pas eu le temps de déjeuner, perdue dans des essayages vains, mais s’interdit une escale à la boulangerie par crainte de devoir manger devant ces inconnus qui la jugeront. Tant pis, elle aura faim toute la matinée. Elle se sent étouffer sur cette large avenue à se persuader elle-même qu’elle ne vaut rien. Pensées obsédantes, devenues bien trop familières.



Encore un soir…

Ana a faim. Elle a une dure journée. Son travail lui demande de se concentrer durant de longues périodes sur des tâches techniques dont elle seule a les compétences dans l’entreprise. Personne sur qui se reposer. Elle agit avec précision et efficacité. Elle ne rechigne pas à la tâche, jamais absente, toujours disponible, son corps répond présent. Jour après jour. Elle est endurante et très déterminée même si elle ne l’a pas remarqué.

Elle s’effondre sur le canapé, lance une playlist relaxante, ferme les yeux un instant. Quelques minutes plus tard, Ana se relève et se met à danser en se dirigeant vers la douche. Elle a toujours aimé bouger. Courir. Nager. Danser. Mais toujours en secret, comme s’il existait un corps plus adapté pour se le permettre en société.

Ana est fatiguée. Elle sort de la salle de bain, en peignoir, les cheveux en bataille. Elle a faim. Une soupe fera l’affaire. Elle a vraiment très faim mais ne veut rien se concéder d’autre, au détriment de ses besoins essentiels.

Elle s’endormira l’estomac à demi vide, amère, déçue, pleine de dégoût pour son corps qu’elle n’écoute pas, encore une fois.



Encore un matin…

Il fait déjà chaud dans les rues de Paris. Ana a osé le chapeau. Elle aime les chapeaux mais elle ne s’autorise pas particulièrement à en porter. Peut-être qu’aujourd’hui, cela lui permettra de se cacher sous les larges bords et d’éviter, encore un peu plus, les regards imaginaires. Des oeillères de paille pour son âme chagrin. Elle s’est convaincue que les yeux qui la croisent doivent forcement remarquer ses cuisses qui se touchent, son ventre arrondi, sa poitrine généreuse, ses joues rondes et rosées. Elle n’a jamais réussi à envisager qu’ils remarqueraient son allure dynamique, ses beaux yeux en amande, sa grâce naturelle, ses gestes fluides et ses cheveux ondulés qui viennent parfaire sa silhouette si élégante.


Ce matin, elle s’est tressée les cheveux. Une natte déstructurée comme la mode semble l’imposer en ce moment. Ces dernières semaines, elle a passé plusieurs heures à s’entrainer avec un tutoriel. Croiser, tourner, superposer, serrer mais pas trop, que cela tienne mais sans contraintes pour pouvoir élargir les boucles ensuite. Tresser légèrement en biais pour que la natte vienne se poser négligemment sur l’épaule mais sans trop tirer d’un côté afin de ne pas paraître totalement asymétrique. La tête penchée, les bras en l’air et les épaules engourdies.

A défaut d’avoir le corps que la société lui inflige comme une référence inévitable, elle aura au moins réussi la coiffure tendance… Ebouriffée.


Elle jette un oeil glacial en direction du miroir dans le hall. Toujours immense, impossible de l'éviter. Est ce qu’elle n’a pas plutôt l’air déguisée ?  Un patchwork d’intentions nobles mais où, au final, rien ne semble s’accorder. Elle doute, hésite à remonter se changer.

En prévision de cette journée chaude, Ana a choisit une jupe longue fluide aux motifs colorés. Un haut jaune en mailles fines qui renvoie vers son visage toute la lumière qu’elle devrait s’accorder. Des sandales compensées en paille valorisent sa silhouette harmonieuse pleine de féminité.

Elle a un peu de mal à marcher longtemps perchée sur des talons. Elle se dirige vers l’arrêt de bus, décidée à choisir la facilité pour ne pas arriver dégoulinante au travail.


Il y a déjà du monde sous l’abri bus. Beaucoup d’employés de bureau, fidèles au poste et bien ponctuels. Elle se place sur le coté pour patienter, cherchant à s’approprier à demi l’ombre d’un petit arbre. Un enfant la regarde. Elle le remarque puis se place de profil pour éviter le contact. Il ne semble pas avoir détourné la tête de sa direction. Il attend le bus avec son petit sac sur le dos, suspendu à la main de sa mère pensive, les yeux dans le vague. Errant dès les premières heures dans les méandres de sa charge mentale, elle tient son fils fermement pour ne pas qu’il s’éloigne.

Ana sent qu’il continue à l’observer en contre bas. Elle pense au point de vue qu'elle lui offre, du haut de ses trois pommes, son menton rebondi et ses narines creuses, quel spectacle ! Elle craint une chose plus que tout, elle n’a surtout pas envie qu’il lui parle. Elle ne sait jamais comment se défaire de ces petits êtres qu’elle trouve incohérents lorsqu’on ne comprend qu’un mot sur deux. Il n ‘y a que les mamans pour décoder ce langage plein de bave.

Elle aperçoit le bus au loin sur la large avenue.


« Maman, regarde, elle est belle la dame »


Ana sursaute. Le petit garçon a parlé et elle semble avoir tout compris. Elle a le souffle court, est-ce bien d’elle dont il était question ?


« Maman, regarde j’t’ai dit ! La dame, elle est belle avec son grand chapeau » Il insiste en secouant le bras de sa maman fantôme.


Ana penche la tête vers lui. Il lui sourit. Elle reste accrochée à ses deux petits yeux spontanés et pleins de vie. Sans réussir à prononcer un mot. La mère n’a pas bougé un cil, pas un murmure, pas un émoi.

Le bus se stationne au ras du trottoir. La maman fantôme entraine brusquement le petit vers la porte avant et le charge sans ménagement dans le véhicule dès que la porte s’entrouvre. A travers la vitre, Ana le distingue en train de se hisser sur une banquette bien trop haute pour ses petits jambes. Il colle son visage innocent à la vitre et se tourne en direction de l’arbre, en direction de l’ombre.

Ana fait un pas en avant et se place dans la lumière. Le soleil vient réchauffer sa peau comme pour la ramener à la vie. Ana sent l’énergie bienfaitrice se diffuser dans tout son être, les mots du petit garçon dansent en elle, comme un remède pour réveiller son âme engourdie. Elle lève la main, adresse un coucou à l‘enfant et lui sourit pleinement.


Enfin un matin.




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