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22h

  • Photo du rédacteur: Sidonie
    Sidonie
  • 29 sept.
  • 4 min de lecture

On est dimanche, il est 22h, tu as collège demain et on est en train de se mesurer le visage.

22h, en pyjamas, pieds nus dans la salle de bain et morts de rire.

On a traîné comme on aime, sur le canapé déplié, on a dîné un peu tard. J’ai fini par me remuer et tenter de presser un peu les choses. Vaine tentative de redresser la situation. Quant à te coucher tôt, ah, ah, ah !


On était en train de se laver les dents quand ça a dérapé.

Il faut avoir un rituel du soir bien rodé, bla, bla, bla… Une routine à heure fixe, bla, bla, bla… Ne jamais en changer même le week-end ou les jours de repos. BLA, BLA, BLA !

J’ai tout lu, j’ai essayé, j’ai douté, j’ai recommencé. Oh si, si, j’ai essayé. J’ai instauré une routine millimétrée, méthodique, extrêmement calme, en murmurant, dans une lumière tamisée, le coeur pur et les paumes des mains tournées vers le ciel. Je suis sortie de la chambre en marchant vers l’est, à pas de velours, en retenant mon souffle sur un ryhtme en quatre temps. La totale. Une puriste.

Mais j’ai reçu l’enfant sans notice moi, celui qui n’a visiblement pas été traduit dans toutes les langues.


Pourtant ton rituel est là, bien rodé. Méthodique, comme ta mère.


Systématiquement, invariablement, quelque soit l’heure, une fois la porte de salle de bain franchie, tu vas te mettre à faire le pitre. Sous la douche, dans le bain, en te lavant les dents, dans toutes les tentatives de t’habiller sans dessus dessous.

Déjà, dans ton minuscule corps, tu gigotais au maximum au moment de la couche. Te mettre un pyjama relevait du plus professionnel combat de catch. C’était drôle, joyeux, mais il fallait être technique et endurant.

Cette pièce de la maison agit sur toi comme un révélateur à bêtises. Enlever tes vêtements déclenche une explosion de créativité diabolique. Comme si, enfin, tu lâchais les ultimes contraintes sociales.


Le moulin à parole se met en route, une idée en entraîne une autre. Effet papillon ou boule de neige en pleine face ? Les questions les plus improbables sortent de tous les placards. De sous la serviette de toilette, déposée en boule, surgissent des danses déstructurées. Imitation d’animaux. Sous le jet d’eau que tu ne parviens plus à éteindre alors que tu ne voulais pas te laver et dont la moitié du liquide bouillant s’écoule de l’autre côté du rideau, tu composes tes plus belles mélodies. Auteur, compositeur, interprète. Déhanché de fesses, empreintes de dinosaure mouillé sur le tapis, grimaces et dessins de buée face au miroir. Rentrer ton ventre jusqu’à faire exploser tes côtes, reprendre ton souffle à fond et tapoter sur ton ventre tout rond. Te faire des coiffures crêtes, mèche plaquée sur le côté, me parler de dictateur, faire des prouts de bras.

Et d’un coup, sans aucun rapport, donc en toute logique, plaquer tes cheveux en arrière et te trouver un grand front. Mettre tes doigts pour le compter en secondes et à 21h30, vouloir le comparer au mien.


Jusque là, tout allait à peu près bien, le rituel déjanté du soir, la routine. Je pouvais encore sauver les apparences et te rêver endormi avant qu’il ne soit demain matin.

Tu as posé ton doigt sur mon front pour le mesurer en secondes. Tic, tac. Tic, tac. Le tapotement des secondes sur mon cortex préfrontal a du créer un micro avc. Je ne vois pas d’autre explication médicale non psychiatrique.

Qu’est-ce qui m’a pris ? Pourquoi me mêler de l’unité de mesure du front ? Qu’est-ce que j’y connais, moi, mère laxiste, en système secondrique frontal à 21h30 ? J’ai parlé trop vite, trop spontanée.

« Oh ! Attends mon amour, j’ai ce qu’il faut. On va mesurer avec un mètre ruban ! »

Il était là, à portée de mains. Posé sur mon petit meuble à bijoux. Accessible. Bien trop accessible. Impossible de ne pas céder à la tentation.


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Parce que, maintenant, à 21h45, je ressens le même besoin impérieux que toi. Il faut que je sache combien mesurent nos fronts.

Je m’estime heureuse, que prise dans la suite des évènements, tu ne m’aies pas demandé un papier pour noter les dites mesures. Je n’ai aucun doute sur le fait que je serai allée chercher un carnet et un stylo 4 couleurs. A ça de créer un fichier Excel.


Nos fronts. On aurait pu en rester là. Mais il y a la largeur, la hauteur et plusieurs diagonales à un front.

Tu manges un carré de chocolat, ça va. Tu manges la rangée de 4 carrées de chocolat, ça va. Tu prends un carré supplémentaire et après, c’est promis, je range la tablette et je n’y touche plus de la semaine ! Voilà comment on termine malencontreusement une tablette entière dans l’heure qui suit. Voilà comment on a mal au ventre.


Le front, avec tous ses points cardinaux. De quoi calculer sa surface. Les sourcils. L’espacement entre les sourcils. Les yeux. L’espacement entre les yeux. La hauteur du nez. Sa largeur, sa courbure. Les narines, ouf, en millimètres.

La bouche. Sans sourire. Très difficile ! Ne pas bouger pour mesurer ton sourire au repos quand tu as tellement envie de rire. Délicieux.

Puis enfin, mesurer ton sourire au max ! Et là, tu exploses les statistiques du bonheur.

Voilà comment on finit malencontreusement par mesurer tout un visage dans l’heure qui suit. Voilà comment on a mal au ventre de trop rire.


On est dimanche, il est 22h, tu as collège demain, il faudrait arrêter de se mesurer le visage.

Rituel du soir, bonsoir.








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