La voisine, à demie
- Sidonie

- 14 oct.
- 3 min de lecture
Elle a le visage effondré derrière la fenêtre de sa ferme. Le regard échoué sur le rebord en briques sombres, espérant accrocher le vivant. Son être glisse, s’arrachant les paumes sur le crépi. Sursaut vain, la vie lui tourne le dos, ignore sa main valide qui supplie de lui tendre un appui.
Moitié de visage croulant et figé. Moitié encore vivant, seul son oeil la trahit, plus vide que le silence. Elle regarde la rue mutique, comme son avenir sans futur. Elle attend. Quoi ?
Plus jamais.
Son corps n’est pas plus vaillant. Le temps l’a rognée. Déformée et fripée mais c’est à l’intérieur qu’il l’a le plus bouffée. A peine une jambe qui soutient un empilement branlant de soucis et de larmes. A peine un bras qui permet de tenir encore un peu, rien qu’un peu. S’accrocher à l’espoir, friable comme un bois rongé par les termites.
Plus de réconfort, ni de surprises. Plus de nature, ni de soleil. Une nuit éternelle dans le présent qui emprisonne. La fenêtre et sa gueule arrachée de jeune femme évanouie.
AVC.
Accompagnement à Vieillir en Chancelant.
Avenir Victime de son Corps.
Avilissement d’un Vieillard Croupissant.
Jambe de bois, bras de marbre. L’attraction terrestre puissance double peine.

Même ses idées ne semblent plus vouloir lui tenir compagnie. Elle fuient le sens qu’elles ne pourront pas donner à cette expérience de vie. Trop tard, trop de dégâts. La conscience ne soulagera rien. Au mieux, des réponses temporaires à des problèmes immobiles.
Elle ne pleure plus qu’à moitié. Et c’est peut-être ça le plus terrifiant. Elle devient quoi la colère dans son hémisphère ensanglanté ? Elle pourrait bien être joyeuse autant qu’elle veut, ça ne traverserait plus son corps enclume.
Alors, il reste quoi ? Vivre à demi un peu de vie et la misère du temps englouti ?
Elle ne peut s’empêcher de se demander « Est ce que mon cœur bat en entier ? » Parce que l’angoisse, elle la ressent bien au complet. Pourquoi y-a-t-il encore des fonctions qui palpitent du côté où tout fout le camp ?
Demi corps contracté, demi corps affaibli. Qui sauvera l’autre ? Aucune bouée à la mer dans son torrent de cris muets.
Sa moitié qui vit, c’est presque ça le pire. Elle vit dure, elle vit moche, elle vit violence. Ça ne peut plus être tendre ni paisible. Trop fragile. Trop exigu. Parce qu’il ne lui reste même plus de demi espoir. Même un quart aurait fait l’affaire mais il se mure dans sa prison de chair. Demie femme experte en pleine absence. Elle enrage. Consciente de tout ce qui ne répond plus, du manque et du mépris. Dépendance humiliante.
Ses proches la roulent sur le trottoir qu’elle ne peut plus arpenter. Sa porte et ses fenêtres closes comme un secret, elle qui vivait tout grand ouvert, surtout son coeur.
Le village comme une extension de sa maison. Son jardin, sa rue, son macadam, sa mairie, ses commerces, ses voisins, son cimetière… Une liberté sans limites dans un village oublié. Son univers, sa mobilité assommée.
Quel est l’intérêt ? Contenter les vivants, les valides ? Tous ceux qui poursuivent leurs existences satisfaits qu’elle soit encore à leurs côtés. Elle n’en a rien à faire de leur bon plaisir. De faire acte de présence. De faire office de… Demie, ce n’est pas assez, ça ne lui suffit plus, à elle.
Car même dans son demi restant, ça ne chantonne plus aucune mélodie. Le sombre lui a tout pris, les neurones du désir sont grillés, cramés.
Comment fait-on pour se rebeller à moitié ? On se soulève à demi ? On fuit et on abandonne le reste aux encombrants ? Venez me chercher murmure-t-elle de sa bouche déformée dans un souffle coupé en deux.
Narine défaillante, l’autre fumante.
Photo : Canva





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