Maman, s’il n’y avait pas de demain, tu ferais quoi ?
- Sidonie

- 14 sept.
- 5 min de lecture
Je m’assiérais à côté de toi et je te prendrais dans mes bras. On ouvrirait le canapé en lit et on regarderait des films dans nos déguisements pyjamas animaux. On mangerait des chocolats et des tartines de tarama. On se blottirait près du chat.

Tu aurais sûrement des questions pertinentes et on se lancerait dans une grande discussion sur la vie et les mystères de l’existence. J’essaierais de te donner des réponses et de donner du sens à ce que je ne comprends pas. Et pour le reste, te promettre qu’on cherchera.
Tu commenceras à tourner dans tous les sens. Pieds en l’air, genoux qui sautillent. T’écouter parler et gesticuler deviendra merveilleusement épuisant. Tu satureras mes sens de ta présence. Et puis, tu feras un bon mot et on explosera de rire. Et tu le répéteras mille fois, pour essayer de me faire rire encore, toujours. Trop de fois, jusqu’à ce que je n’ai plus de joie à exprimer et te sentir déçu que le rire spontané ne soit pas infini.
On sera sûrement tristes à un moment. Tristes que ce soit le dernier jour, qu’il n’y ait pas de demain. Mais on sera capables de se le dire et de se prendre dans les bras. Parce qu'être ensemble, ça rend plus fort, plus courageux et que tu arrives toujours à remobiliser tes forces même dans les plus grandes crises.
Tu as une immense force de vie. De grands cris, de grandes joies aussi.
Je te laisserais choisir le second film que tu lanceras sans tarder de peur que je ne coupe l’écran. Je te dirais qu’aujourd’hui, il n’y aura pas de limites. Pas de contrôle parental.
Tu demanderas - Un peu comme la journée du Oui ?
J’acquiescerais - Comme la journée du Oui.
- Alors je peux faire ce que je veux ?
- Tu as envie de quoi ?
- De regarder un film avec toi. Je n’ai pas envie de sortir. On peut rentrer la tortue dans sa cage pour qu’elle soit avec nous ?
Tu seras triste pour eux. Tes animaux. Qu’eux non plus, ils n’aient pas de demain.
Tu iras lui chercher des pissenlits chaussé des claquettes de jardin trop grandes. J’entendrais traîner tes pas sur le béton du porche et claquer la porte encore une fois. Comme à chaque fois.
Tu rentreras avec de belles feuilles bien vertes, très fier. Elle va se régaler !
Je te dirais « fais ça » en pivotant mon poignet de gauche à droite. Tu le feras, en toute confiance, et tu me demanderas :
- Mais pourquoi, ça fait quoi ?
- C’est pour voir si ton bras fonctionne, j’avais un doute.
- Pourquoi ?
- Pour fermer les portes sans les laisser claquer.
- Mamaaaaan !
Tes yeux et ton sourire malicieux te trahiront, elle t’aura quand même un peu fait rire ma plaisanterie éducative.
D’un coup, je me lèverais.
- Tu vas où maman ? Encore faire pipi ?
- Ah ah ! Non, je vais libérer Patapouf !
- C’est qui Patapouf ?
- Tu vas voir.
Je reviendrais avec un grand sac poubelle noir poussiéreux d’où je sortirais un énorme chien en peluche.
Je te raconterais son histoire et pourquoi il était abandonné dans la buanderie. Au fil de ces jours où je suis rentrée dans le rang, pour devenir comme il faut, au profit de l’image de l’adulte responsable. Mais à quel moment je suis devenue une adulte ennuyeuse ? Pourquoi ? Qu’est ce que ça m’a apporté de plus ? De mieux ?
Tu prendras ton air indigné pour demander pourquoi ce n’est pas bien pour les adultes d’avoir des doudous ? « Moi, je vais te rendre ton Pandinou ! » Et peut-être aussi tous les autres que tu t’es accaparé. Passion doudous. De mère en fils depuis deux générations.
Tu te rouleras dans le gros chien Patapouf. Encore une fois, j’aurais ce réflexe d’adulte chiante que je suis devenue, je te dirais d’attendre, que je vais le laver car il est plein de poussière.
Tu me répondras « Mais, Il ne sera jamais sec ce soir ! »
On ira quand même lui faire prendre un bain et ce sera très amusant. Tu finiras par vouloir aller avec lui dans la baignoire pour l’essorer de tout ton corps maigrichon. Tu rigoleras, tu éclabousseras, tu lui sauteras dessus et le piétineras. Je te regarderais t’amuser sans un mot. Juste te déguster du regard, savourer ta vie avec mes yeux pleins d’eau.
Tu le trouveras bien trop lourd gorgé d’eau alors tu l’appelleras le gros pépère. Puis, tu répéteras « le gros pépère… à sa mémère ! »
Tu éclateras de rire et je te jèterais un petit verre d’eau froide sur ton ventre tout nu. Tu crieras de joie « oh non, elle a osé ! Elle a osé ! »
Tu ne voudras pas dormir. Je serais fatiguée bien avant toi. Tu installeras tes doudous et ta couverture lestée sur le canapé. Tu me diras qu’on peut trainer ce soir vu qu’il n’y pas de demain. Tu me prêteras Marmotte et Pandinou.
- C’est dommage qu’il n’y ait pas demain mais au moins, il n’y a plus d’école.
Ton immense plaisir au milieu du néant.
- Je suis enfin libéré de ce bagne !
En levant tes deux bras tous fins en signe de victoire.
Tu n’auras pas très faim. Mais tu voudras quand même un plateau télé et me glissant malicieusement que ça fait longtemps qu’on n’a pas regardé un film.
Je dirais oui parce que je ne sais pas te dire non. Tu repasseras en boucle tes séquences préférées pour te tordre de rire sur le canapé. A la redécouverte du rire infini. Je serais encore certainement partie aux toilettes, accompagnée de ma vessie trop molle de t’avoir enfanté. Alors, tu remettras encore une fois l’extrait en me disant « Maman regarde, Maman regarde ! » toujours constant dans ton envie de partager le bonheur.
Je mangerais mes émotions et ma fatigue.
Je prendrais surement le temps de débarrasser et de ranger un peu, en adulte chiante, coupable de ne pas avoir une maison instagrammable qui, au fond, ne m’aurait servi à rien pour en arriver là. Pour qui ? Pour quoi ?
Je reviendrais me blottir contre toi. On fera une grosse pyramide de toi, de moi, de chat, de plaids et de doudous. Se laisser ensevelir pour disparaître dans la douceur.
Ce sera doux, ce sera beau, ce sera nous.
Inutiles et fragiles.
Minuscules.
- Maman, s’il n’y avait plus de demain, tu ne ferais rien de plus qu’un dimanche pluvieux ?
- Non, rien de plus que nos dimanches moelleux.





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