Chère Corse
- Sidonie

- 30 sept.
- 5 min de lecture
Chère Corse, qu’as-tu à me dire ?
Chaque passage sur ta terre insulaire a précédé un moment charnière.
J’ai toujours accosté ton rivage un peu par hasard. Sans en avoir vraiment rêvé, sans même l’avoir clairement planifié.
Un séjour sportif réservé sur internet après une rupture. Vacances solitaires dans un groupe d’inconnus. J’ai marché, j’ai pédalé, j’ai nagé. Je me suis fait des amis. Pas pour la vie mais pour ces moments de vie. Des personnes que je n’aurais sûrement jamais rencontrées mais à qui l’on se montre tout entier, loin de nos habitudes qui finissent par nous définir par défaut. J’ai aimé être là, au milieu de nulle part, sans repères ni attaches.
A mon retour, mon studio envahit de post-it en forme de coeurs de toutes les couleurs, du sol au plafond, ironiquement décoré par un homme souhaitant se faire pardonner ses mensonges tout en continuant à les proférer. Tu as marqué la touche finale de cette histoire toxique. Tu m’as affirmé : sois toi. Tu ne m’avais pas poussée à évoluer pour que j’éparpille mon début de confiance à la première minauderie venue.
Je suis rentrée de ces vacances un peu plus alignée mais aussi étrangement fatiguée. Des ganglions plein le cou, tu avais glissé dans mes bagages la toxoplasmose. Traitements, sieste, traitements, siestes. Authentique mais épuisée. Tu m’as imposée le repos et l’incapacité à réfléchir afin de ne pas troquer les bénéfices de mon séjour auprès de toi, contre mes peurs et mes traumas dès les premiers pas sur mon Ile de France.

Quelques mois après, une autre histoire, un autre chemin. Et une phrase lâchée lors d’un week-end en famille. « Est-ce que tu veux aller faire le GR20 ? » A l’époque, je crois que je ne savais même pas ce que c’était. On m’explique en quelques mots, je dis simplement oui.
Vraiment ? Oui, je confirme. Je ne mesure pas vraiment ce qui m’attend mais je sais que je dois m’entraîner. Je me renseigne un peu, je me demande si j’en serai capable…
Marseille, le port, la chaleur et le poids de mon énorme sac. Le trajet jusqu’au bateau me paraît une éternité et me fait douter à chaque pas… Comment vais-je y arriver ?
J’ai marché dans Paris avec un sac lesté, j’ai arrêté de fumer, je cours depuis quelques années. Mais jamais, je n’avais oser imaginer que, moi aussi, je pouvais aller tenter de telles aventures. Je ne dis rien, un pas après l’autre sous un soleil écrasant. A défaut d’avoir le physique, j’ai le silence conciliant.
Je sors du cirque de la solitude en me sentant plus vivante que jamais. J’ai réussi ce qu’on disait si difficile et mieux encore, j’ai adoré cela. J’ai arpenté ces sentiers, escaladé, j’ai mis mes mains dans la roche, je me suis sentie forte et solide. J’ai porté mon sac en oubliant son poids, tenu les chaînes et avancé fièrement. Je me suis sentie capable. Euphorique, à la fin de cette étape mythique, mes premiers mots sont « En rentrant, je démissionne »
Chère Corse, tu m’avais prouvé qu’il était temps que j’aille vers autre chose, que je transforme la puissance de mon expérience.
Jour du retour, ma gorge me pique, je tousse, je pleure, je m’étouffe, je vomis. Incontrôlable. Je tombe de fatigue et je m’effondre dans la cabine. Je n’ai aucun souvenir d’être rentrée, le bateau, le train, le métro, un trou noir. Ce virus me saisit avec force et ne me quittera plus pendant quinze jours. Le visage dégoulinant, le corps incapable de se tenir debout. Authentique mais épuisée. Tu m’as imposée le repos, inapte.
Quelques semaines après, je démissionne et je me laisse porter par la suite. Sans l’avoir clairement planifié, sans en avoir vraiment rêvé.

Chère Corse, je viens encore à toi cette année. A chaque fois au mois de septembre, quasiment au jour près.
Une fracture de la cheville quelques semaines avant nos vacances d’été nous pousse à les reporter. Les yeux envieux devant les photos de vacances de proches, une phrase jetée comme une bouteille à la mer. « C’est l’occasion d’aller visiter la Corse, non ? »
Réservation de dernière minute, bateau, gîte, quelques semaines plus tard, nous prenons la route.
Dans le bateau, ma gorge me brûle. Je viens de passer une semaine sous tension, à me mettre la pression toute seule plutôt que de faire confiance à ce qui devait être. Schéma répétitif de mes angoisses chroniques. Un gros rhume avec une toux des enfers me terrasse dès les premiers jours.
Encore toi, chère Corse, encore un peu par hasard et encore malade.
Quel est ce lien avec ton énergie qui me bouscule sans le dire ? Pourquoi est ce que tu marques autant mon esprit et la matière ?
Mais surtout, quel changement profond me promets-tu ?

J’ai besoin de cette réponse. Depuis quelques temps, je ne ressens plus mon évidence. Je manipule mes perceptions avec habileté pour les autres mais je ne perçois plus mon intuition. Je traîne mes envies et mes doutes dans un âge qui me pèse et me terrifie. Suis-je encore capable de tout ? Je me sens parfois à coté de moi-même, sans perspectives. Je ne sais plus vraiment qui je suis, ni ce que je veux, je change d’avis comme d’humeur.
J’ai conscience du blocage mais je m’éparpille mais je ne trouve plus la direction pour contourner ce barrage. Je rumine, je fais des plans sur la comète. Et surtout, je manque de passion et de vivacité. De cet élan qui m’a intimement dirigé, parfois brusquement dans de nouvelles directions mais toujours avec la certitude que j’avais attendu bien trop longtemps pour y aller.
Au fond, je sais ce à quoi j'aspire, je sais quel cycle de vie je souhaiterai enfin accomplir. Ce rêve dont je n’avais pas vraiment conscience mais que mon enfant intérieur me murmure depuis toujours. Son évidence sur mon chemin.
Chère Corse, sur tes sentiers, sur tes routes, tu me murmures des mots. Tu m’inventes des mondes et des univers que je ne pensais pas décrire. Tu m’ouvres les bras pour que j’ouvre ma voie.

Douze jours que je dors assise pour ne pas étouffer dans les soubresauts de ma toux volcanique. Et pourtant, chaque matin me ravie. Chaque matin, l’énergie de grimper une montagne, de nager le long d’une crique dans d’innombrables allers-retours. Sans jamais m’effondrer.
La fièvre me saisit dans mes excès. Ralentis. Pose tes mains au sol et écoute les pulsations de la terre. Plonge ton corps dans l’eau et vois les mondes qui s’ouvrent. Dessus. Dessous. Dessus. dessous.
Le corps en dessous, la tête au dessus, l’horizon aquatique en frontière mobile qui entoure ton cou sans jamais resserrer son étreinte. Délicat, léger, fluide.
Coupée en deux, et pourtant, jamais autant reliée à l’infinie beauté du monde.

Chère Corse, tes énergies se font fortes sans pourtant me heurter. Tu es puissante et subtile. Minérale et abrupte. Voluptueuse et généreuse.
Je me baigne en conscience une dernière fois dans ton eau amniotique. Fais de moi ce que tu veux. Je ne t’appartiens pas plus qu’à ma terre natale. Je me fonds dans l’univers.
Je ne pleure pas ce dernier contact car mon être est à nouveau plein de certitudes. Tenter.
Quelque chose à changé ici. Dans ma toux. Dans ma fièvre. Dans chacun de mes pas. Dans ma présence. Je suis là. Et surtout, je suis moi.
Il faut repartir. Rentrer. Etre éprouvée chaque jour pour aller tester si l’enchantement opère. Si le changement enfle. Ou si le confort inconfortable du connu m’enlise. Réinventer. Poursuivre.
Merci chère Corse. Je ne sais pas quand, je ne sais même pas si on se reverra vraiment.
Mais sache que, si ce que tu m’as donné cette année sur tes sentiers, trouve dans ma liberté l’engrais pour y germer, alors, je te promets de revenir te célébrer sans aucun hasard pour m’y mener.





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