Il faut que je te prévienne
- Sidonie
- 16 avr. 2023
- 4 min de lecture

Il faut que je te prévienne. Je ne suis pas une fille qui emmène ses histoires d’amour très loin.
Je n’ai jamais réussi. Peut-être que je n’ai jamais compris. Ou que même, je ne sais pas faire du tout.
Quand ça remue un peu trop, quand on doute ou qu’on s’égare, je panique vite.
J’essaye un peu, pas très bien, puis je finis par tirer sur l’ambulance. Peut-être que l’hôpital était tout proche ? Peut-être que le remède était à portée de main ? L’antidote à mes tourments. Je ne sais pas, je n’ai jamais tourné le coin de la rue suivante, sirènes hurlantes.
Je ne vis pas très bien sans amour. Mais je ne vais pas très bien avec non plus. Des petits riens me font vite mal. Je veux le confort d’une routine, la sérénité d’un foyer mais je ne résiste pas à l’ennui et surtout pas à l’indifférence. Cette fatalité qui s’abat inévitablement sur toutes les histoires. Je sais vieillir à deux mais sans savoir faner en couple.
Rester, quand la dynamique s’essouffle, c’est renoncer à tout ce qui peut se présenter. Les expériences, les rencontres, les ailleurs, les sur un coup de tête. Rester, c’est monter très haut et descendre si bas. La chute est lente, je m’agrippe aux parois. Les opportunités me glissent entre les doigts. Et si, au fond, je ne me connaissais pas. Et si, au fond, tu avais très envie d’autre chose.
Mais partir, c’est la peur qu’il ne se passe plus jamais rien. Plonger dans le vide et le néant. Elle me pétrifie cette solitude, cette absence. Et si en partant, je me perdais aussi. Qui suis-je sans toi ?
Il faut que je te prévienne. Je crois très fort aux rêves, je les encourage. Nous ne sommes pas grand chose sans envies et sans espoirs. Mais j’ai trop cru aux rêves des autres, plus qu’en moi-même. Je les porte courageusement les rêves des autres.
Je peux te porter un long moment. Même à bouts de bras, même quand je ne touche plus le sol. Je suis capable de poser ce que j’ai de plus précieux, ce dont j’ai le plus besoin, pour te porter toi. Toi et tes rêves inachevés. Toi, à la place de mon essentiel.
Puis tu deviens trop lourd, trop envahissant et mon amour trop faible. Je me retourne et je vois les morceaux de moi-même éparpillés sur le chemin. J’ouvre alors grand les yeux, choquée. Qu’ai-je fait de moi ?
Alors, je peux te lâcher dans le vide, du jour au lendemain. Je vais avoir pleuré, en te donnant une dernière fois tout ce que j’ai à offrir. Tu n’auras sûrement pas perçu la nuance dans mon regard qui te transperce puis te fuit.
Alors un matin, je vais te lâcher la main, te pousser dans notre vide. Tu vas tomber dans la boue épaisse et sale de nos différences et de nos incompréhensions que je brasse depuis des mois. Tu vas me tendre une main que je ne vais pas saisir car j’aurais chaussé des bottes et sorti mon parapluie pour aller pleuvoir mes larmes ailleurs.
Il faut que je te prévienne. Je ne suis pas une fille qui revient. Parce qu’il faut du temps pour ramasser les morceaux de son âme oubliée. Je peux partir en t’aimant sincèrement si jamais je me souviens qu’en fait, je dois m’aimer aussi.
Mais toi, endormi à mes côtés, il faut que je te prévienne. J’ai envie de rester, encore. J’ai envie de guetter sans cesse le prochain croisement si jamais nos routes divergent. Parce que je me surprends à aimer nos difficultés. Je regarde nos aspérités avec tendresse. Nos bas dont on remonte dans de grands éclats d’amour. Nos mains qui semblent se lâcher et tout à coup se rejoignent fermement. Nos regards tristes et fatigués qui s’accrochent à nos sourires, avec l’évidence de passer encore, toujours plus de temps ensemble. Les cicatrices qu’on se passe à l’alcool tendrement en se demandant pardon, pour ne pas qu’elles s’infectent. Nos espaces respectés, nos rêves partagés et encouragés. Les grandes inspirations que l’on reprend dans un seul souffle pour se nourrir de notre essentiel.
Il faut que je te prévienne, j’ai envie de te dire en face où commence notre chute. Te tapoter délicatement sur l’épaule en te murmurant qu’on devrait être plus prudents. Je veux tenir l’échelle pour remonter, construire le radeau pour affronter les flots qui nous submergent. Je veux pleurer et te dire que ce n’est pas grave, que tout bouge, que l’inconfort est toujours passager. Je veux qu’on s’échappe malgré le temps qui nous bouffe. Je veux qu’on rit malgré le monde qui s’écroule. Je veux tes bras comme abri et ma confiance pour t’offrir un refuge.
Il faut que je te prévienne, tu es dans mes rêves et mes espoirs. Je souhaite que tu le portes mon rêve, même à bout de bras, autant que je porterai les tiens. Tu seras peut-être le dernier. Celui des rides et des cheveux blancs. Celui qui ralenti et qui s’affaisse. Celui qui me tiendra la main jusqu’au bout du chemin, sinueux, caillouteux, boueux mais que j’espère bien assez large pour nous deux.
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