J'écris
- Sidonie

- 25 nov.
- 5 min de lecture
Allongée sur le dos, mon regard se porte vers cent mille mots scintillants au plafond, qui dirigent leurs hampes vers moi, comme pour me pointer du doigt. Elle me fait de l’oeil cette voie lactée de possibles. Grande tentatrice, il est pourtant bien l’heure de dormir, de poser le mental et reprendre son souffle. Pour demain qui arrive à grands pas et qui piétinera les rêveries. Cependant, il reste ce chemin de traverse à emprunter avant que le temps ne me laboure.

Le blanc cassé du papier, la mine qui gratte. J’écris pour mon coeur qui saigne et pour mon âme qui rit. Je survis à coup de paraboles et de métaphores. Un anxiolytique pour me frayer un chemin dans les pensées troubles. Relire, rectifier, raturer, ordonner, organiser, prioriser. Laisser diffuser la molécule apaisante au fil des paragraphes, les figures de style se mêlent au sang de mes veines. Mettre en forme pour mettre en sens, dans une juste sonorité, l’esprit aux aguets. Développer des tocs de pertinence, se contredire, se justifier. Ne pas se satisfaire et persévérer afin de concéder une place voluptueuse à l’exigence et au contrôle. Exercice délicieusement ingrat. Apaisement. La tension se relâche, les muscles se détendent, la mâchoire se desserre. Le calme se faufile dans chaque interligne.
Minutieusement, mettre de l’ordre dans ma conscience. Il existe un monde où le brouhaha s’éclaircit. Ce n’est plus que du bruit, les émotions ne sont plus que des peines ou des sourires. Cela devient tangible, vivant et palpitant. Une légitimité à exister, méticuleusement.
Il tient de l’orfèvrerie pour assembler les mots au plus proche de la vérité émotionnelle et de l’intention posée dans l’acte d’écriture dès la première ligne. Aucun compromis à la tâche. S’il faut y revenir cent fois, ce sera accompli. Dans les méandres de la nuit, il n’est plus question de peurs car cela offre l’opportunité de contrôler les songes pour les affranchir des angoisses. Poser son être sur le papier pour qu’il cesse de trembler.
Et la nuit peut s’abattre, enfin réconfortante.
J’écris parce que les larmes sont plus douces quand on les épelle. L.A.R.M.E.S. Une lettre pour inspirer, un point pour expirer, une pulsation pour se calmer. Les joies sont plus puissantes quand on les transcrit. Les émois sont plus intenses quand on les conte. Les réminiscences sont plus présentes quand on les imprime. Exister là où la vie cesse de hurler à l’aide.
J’écris parce que je ne sais pas parler. Du moins, pas aussi élégamment que le déroulé fluide d’un récit bien construit. Les locutions posées laissent le temps d’un choix bien plus précis, plus audacieux. Dans ma tête, les mots s’assemblent. Limpides et fluides. Ils glissent comme une caresse, agiles comme un éclat de rire. Mais lorsqu’ils doivent traverser la barrière de mes lèvres, mes mots s’emmêlent les adverbes, ils s’entrechoquent la grammaire. Les émotions parasites se précipitent pour les humilier. Les phrases s’agglutinent aux commissures en une pâtée immonde. Ça déborde, ça m’énerve, ça m’écœure. Alors, je pars. Ou bien je fuis peut-être. Avec des mots plein la bouche, de la frustration plein le cœur et des larmes plein les yeux. Je n’arrive plus à déglutir. Ma tête ne comprend pas pourquoi, elle avait tout bien préparé.
Je mâche mes mots. Trop longtemps, comme une vache qui rumine. Trop de salive et ça devient une pâte immonde de lettres mélangées qui perdent tout leur sens. C’est filandreux, ça me donne envie de cracher mais comme je suis bien élevée, je tente de déglutir cet immondice de non-dits. Ça fermente et ça devient acide. C’est visqueux et indigeste. Alors j’écris. Sinon cela restera collé au fond de ma gorge et la vie finira par avoir un goût de vomi dégueulasse.
Je m’essuie le coin de la bouche, je me lave les dents et je balaye les miettes de mon ego blessé à l’entrée mon cœur. Je retrouve le calme et la solitude. Je laisse le flot revenir, les mots reprennent doucement leur danse. A deux, à trois, en phrases, en strophes puis en paragraphes. D’abord lourds de peine, ils s’allègent portés par mon âme optimiste. Un jour, j’y arriverai. Un jour, je saurais dire. Sans nuire, ni me sentir blessée. Un jour, je serai entière, même si complexe. Du bout de mes mots, du son de ma voix, je me tiendrai fière devant toi.
J’écris parce que les mots sont un microcosme plein de vie qu’il convient de respecter. Un monde infini à arpenter dans une recomposition perpétuelle. Une richesse, une magie, le voyage de ma vie. Je m’y émerveille de l'insaisisable dont nait l’imaginaire, le salutaire. Ils devraient être préservés comme une ressource non renouvelable, un bien précieux de l’humanité qui les transforme. Déforestation des thesaurus, appauvrissement des vocables. Ntinquiète pa, sava alé.
J’écris parce que je ne sais pas bien aimer. Il y a comme une radio allumée en permanence dans ma tête, un brouhaha persistant dans lequel surnagent mes pensées. Les bruits de passage et ceux qui persistent, les odeurs fortes et les goûts parasites, les émotions qui s’égarent pour être enfin entendues, le subtil qui insiste pour sortir de l’invisible. Tout entre et rien ne ressort. Cela ne m’appartient pas, cela ne devrait pas rester pétrifié ici.
Parfois, la radio dans ma tête reste sur une programmation classique, c’est assez confortable. Le soir, souvent, le ton monte et les rythmes dynamiques s’agitent, variété pop rock. Difficile mais admissible. Les jours de grande fatigue, c’est du métal qui m’accable et braille à pleine puissance dans mon crâne. La voix roque débite ses râles en se secouant la tête d’avant en arrière et heurte ma cervelle sans relâche. Je devrais passer sur rire et chansons pour détourner mon attention mais je ne trouve pas la fréquence, ça grésille, ça m’irrite les tympans. J’ai mal.
Si je mange un peu de travers, c’est l’heure des informations et de leur flot de nouvelles inquiétantes. Une voix grave débite des horreurs sans relâche. BFM TV dans toute sa noirceur. Le débit s’accélère, le journaliste tourne en boucle. Puis soudain, il ralenti brusquement pour insister sur des détails effrayants, pour être bien certain que j’ai enregistré chaque vétille sanguinolente. Pourtant, il faut sauver les apparences et continuer à prendre soin de tout le monde en souriant, en se montrant aimable et disponible, être à la hauteur des attentes et des désirs. Être mère, femme, travailleuse et active, sans espace de repli. Même lorsque la tête retourne danser avec le ventre une valse d’angoisses à trois temps.
Alors, je marche, je cours. Le mouvement comme premier catalyseur. Bouger. J’ai le regard perdu dans un Picasso. Guernica sur fond de techno, les stroboscopes vacillent dans la nuit. Pourtant, il faut aller dormir, être raisonnable, pour assumer les autres demain. Fermer délicatement les paupières sur ce monde intérieur dont je me retrouve prisonnière. Je les rouvre grands, le cœur palpitant. Immobile dans la nuit, je contemple mon insomnie qui durera une partie de la vie.
Alors j’écris. Je parle avec la voix du cœur et laisse mon intuition rédiger, calfeutrée dans mon écrin de papier. Le son de la radio commence à baisser. Les phrases s’enchaînent, je tords mes pensées en phrases assemblées. Je me concentre, je les remanie et y revient sans relâche. J’arpente le dictionnaire et les synonymes dans une randonnée intellectuelle. Un pas devant l’autre, mouvement des yeux, balancement du poignet, remuement des idées. Le songe se matérialise et les angoisses s’amenuisent. Assembler les résonances, traquer les répétitions. Mute. La radio a finit par se taire sans que je l’ai remarquée. Le temps apaisé ne s’égare plus sous mes doigts satisfaits.
J’écris.





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